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Le colloque international "Construction(s) et réception(s) de la science aujourd’hui" est l’occasion de réunir des chercheurs sur une question socialement vive que le contexte de pandémie a mis à jour de manière inédite. Néanmoins, il s’agit plus largement d’une question historique, épistémologique et sociale.

Qu’est-ce que la science ? Qu’est-ce que la recherche ? Une discipline scientifique peut-elle être définie par son objet, par sa méthode ou par la pratique de ses chercheurs ? L’objectivation d’un savoir passe-t-elle par la définition d’un ou plusieurs objets propres à une discipline scientifique, tant dans les sciences dures que dans les sciences sociales, dans les sciences du Centre que dans les sciences de la Périphérie (Etienne et Mabilon-Bonfils, 1998) ? Les disciplines scientifiques seraient alors à "géométrie variable", parce que la science à chaque moment construit ses objets, Gaston Bachelard notant à ce propos qu’il "ne nous semble pas plus utile de parler des frontières de la chimie que des frontières de la poésie" (Bachelard, 1970). Ce qui n'est pas sans écho avec le questionnement que propose Marcel Mauss sur l’intérêt des espaces interstitiels interdisciplinaires. Selon lui, le progrès scientifique est lié à l’exploration de l’inconnu. Or, "l’inconnu se trouve aux frontières des sciences, là où les professeurs "se mangent entre eux", comme dit Goethe (je dis mange, mais Goethe n’est pas si poli !)." (Mauss, 2001).

Ces considérations ne sont pas réservées aux sciences de l’homme. Ainsi, le physicien Jean-Marc Lévy-Leblond affirme que "la physique (...) comme toute autre science d’ailleurs, ne peut être définie une fois pour toutes, de façon abstraite et définitive, par référence, par exemple, à sa "méthode", et encore moins aux "objets" de son étude (...).". Une telle approche constructiviste est-elle heuristique ? Plus fondamentalement encore, comment se définit et se construit la scientificité d’une démarche ? Légitimité sociale et légitimité scientifique sont-elles congruentes ? Opposées ? Par ailleurs, les questions épistémologiques ne sont-elles pas aussi des questions politiques ? Ces questions vertigineuses, celles-là mêmes "du savant et du politique" posées en son temps par Max Weber (Weber, 1959) sont réactivées aujourd’hui. Or, il nous semble déterminant que ces questions liées aux modes de construction de chaque science, à leur modus operandi, soient l’objet d’une disputatio sur la "science se faisant" qui ne soit pas restreinte à un microcosme rassemblant les spécialistes d’un objet, d’une approche et d’une discipline. Or, "ce qui circule entre les chercheurs et les non-spécialistes, ou même entre une science et les spécialistes des autres sciences, ce sont, au mieux, les résultats, mais jamais les opérations. On n’entre jamais dans les cuisines de la science." (Bourdieu, 2002).

Au fond, y a-t-il un intérêt à la connaissance scientifique ? Questionnement investi par J. Habermas dans la réflexion critique du scientisme qu’il adresse aux chercheurs, quant à leur possibilité d’adopter (et prétendre adopter) une neutralité axiologique (Fugier, 2013), entendue comme mise en suspens de leurs "intérêts de connaissance" (Habermas, 1976) et par conséquent quant à leur capacité à s’affranchir de valeurs orientant leurs choix d’objets, théoriques et méthodologiques. Habermas distingue ainsi l’intérêt de produire des connaissances qui visent le contrôle technocratique des phénomènes, celui qui vise leurs intercompréhensions et l’intérêt à produire des connaissances dans une visée émancipatrice (Habermas, 1973).

À partir de telles considérations, on peut se demander qui a intérêt à la connaissance scientifique ? Nul consensus ne semble se dessiner parmi les différents membres de la communauté scientifique : "la société se paie une danseuse avec la science politique" écrivait le politologue Bruno Etienne. Il n’y a pas selon lui de demande sociale pour une connaissance du politique. Selon le mot de Bourdieu, la société n’en demande pas tant… Mais il y a un horizon d’attentes pour quelques groupes ou individus. Par contre, la connaissance ne produit pas de politique publique, car la science est dérangeante. Ce diagnostic s’applique-t-il à toutes les sciences ? Comment se pose la réception sociale des sciences sociales (Bouilloud, 1997 ; Lahire, 2002 ; Delory-Momberger et Mabilon-Bonfils, 2020) ? Dans quelle mesure la science peut être instrumentalisée par les décideurs ? Y-a-t-il des garde-fous ? Car la production de réflexions scientifiques sur le monde s’oppose fréquemment aux fonctions sociales et politiques de légitimation des pouvoirs qu’on – politiciens, journalistes, experts…- voudrait faire jouer aux sciences.

 

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